Après la crise des émergés, la crise des émergents ?

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On n’en sortira donc jamais ! Voilà des années que les taux d’intérêt à court terme sont à zéro (ou négatifs) dans les économies émergées, industrialisées si on veut. Voilà des années que les taux longs y sont au plus bas, leurs banques centrales achetant leurs bons du trésor. Et pourtant, rien ne repart fort en zone euro, ou comme auparavant aux Etats-Unis.

 Après la crise des émergés, la crise des émergents ?

Et voilà maintenant que les économies émergentes se mettent à faiblir, certaines à plonger : faiblir, la Chine qui dit qu’elle change, mais qui inquiète ; plonger, la Russie, le Brésil et l’Afrique du Sud. Et voilà que les prix du pétrole chutent, entraînant ceux des autres matières premières.

Preuve du drame, l’inflation n’est plus là. Les émergés cherchent 2 % et obtiennent 0 %, au moment où Etats-Unis, Angleterre, Allemagne et Japon sont en « plein emploi ». C’est à n’y rien comprendre ! On croyait que le « plein emploi » faisait monter les salaires et les prix, à moins qu’il n’ait changé – lui aussi. Quant aux émergents, ils ont moins d’inflation, leurs prix industriels baissent, leurs services se calment. Donc leur rattrapage freine.

Que faire ? En rajouter, disent-ils tous. No limits : Mario Draghi fait très fort à Davos le 21 janvier – en pleine tempête boursière. Il va, « dans le cadre de son mandat » (atteindre une inflation à 2 %, alors qu’elle est à 0 %), montrer sa détermination. Les marchés financiers se disent qu’il achètera plus de bons du trésor ou baissera encore les taux de ses réserves, déjà négatifs. On va voir ce qu’on va voir ! Irrationnel, c’est ainsi qu’un responsable d’Aramco, la compagnie pétrolière d’Arabie saoudite, qualifie un prix du pétrole au-dessous de 30 $ le baril. À ce moment-là, il est à 27,5. Doubler le PIB chinois de 2010 à 2020, c’est l’engagement du vice-président de la République de Chine, Li Yuanchao. Il ajoute que son économie n’est pas une économie de marché assez mûre – pas faux. Il baissera les taux et fera, lui aussi, « tout » son possible. Et Janet Yellen, la Présidente de la Banque centrale américaine, nous dit le 27 janvier que la situation économique américaine s’améliore, mais « à une allure modérée ». L’inflation étant basse, la remontée des taux sera graduelle. Les marchés financiers comprennent que la prochaine hausse des taux n’aura pas lieu en mars. La paix boursière devrait revenir. Cela va-t-il suffire ?

Non, parce qu’il ne s’agit pas seulement de mots et de taux. Nous vivons deux réalités économiques superposées, et chez les émergés et chez les émergents. La première réalité est celle du cycle économique « classique », avec ses hauts et ses bas. La deuxième est celle du changement profond qu’amène cette révolution dite industrielle, en fait de la communication. Elle perturbe tout, partout, notamment le cycle « classique », devenu méconnaissable.

Alors, même si les taux sont bas, il n’est pas si sûr que l’entrepreneur va investir si la croissance n’est plus ce qu’elle était et s’il s’agit plus d’acheter des applications de big data et de former que d’acheter des machines. Cette sortie de crise passe par du capital humain, pas physique. Mais ce capital humain est le plus risqué de tous, car irrécouvrable. Il est la propriété de qui le reçoit, pas de l’entreprise qui l’emploie. L’économie de la communication est une économie de la personne, pas de la chose. Elle requiert plus de marge pour financer non seulement cet investissement immatériel mais plus encore pour le garder, autrement dit pour garder les « talents » ainsi formés.

Les émergents voient avec inquiétude ce qui se passe chez les émergés. S’ils repartent avec tant de difficultés, c’est qu’ils changent : mais quels en seront les effets, pour eux ? L’économie de la communication est une économie de la désintermédiation des structures antérieures, avec ce que ceci implique pour l’emploi (banquiers ou taxis), parce qu’elle est une économie de la précision. Elle va détruire beaucoup parce que nous faisons du trop épais, qui ne répond pas assez à ce que veut chacun. Le Big Data est gros pour la quantité d’informations réunies, mais pour être plus fin dans le résultat. Alors, les émergés vont investir moins mais mieux, faisant ralentir leur PIB.

Alors les débouchés des émergents en seront d’autant réduits, sauf s’ils s’occupent de leur propre devenir. La crise des émergents qui vient n’est pas seulement le reflet de celle des émergés, mais aussi la leur, leur mutation, leur solution – en fait.