Les médecins de Molière autour de la France

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 Les médecins de Molière autour de la France

– « La France n’a pas assez d’inflation. Elle est gagnée par le risque de déflation » dit l’un.
– « Mais non, mon cher Confrère : elle n’a pas assez de croissance au contraire ! »
– « Et pourquoi donc, mon cher Confrère, n’a-t-elle pas assez de croissance, je vous le demande ? »  s’enquiert un troisième.
– « Mais parce qu’elle souffre de trop d’austérité, de purges, sinon de saignées » ajoute un autre.
– « Au fond, la France n’a pas assez de croissance parce qu’elle pâtit de trop de rigueur » concourent nos experts.

– Entre un bourgeois : « Mais, demande-t-il, pourquoi diantre en est-elle arrivée là ? Et nous avec ? »

– Tous alors de se taire. Débattre de potions sans diagnostiquer le mal reste assez fréquent en France, même si la Faculté a fait quelques récents progrès en atténuant l’opposition séculaire entre « économie de la demande » et « économie de l’offre » que nous sommes les seuls au monde à entretenir.

– Vient un homme de bon sens, directement débarqué de sa province : « La vérité me semble-t-il, chère France, est que vous avez, nous avons, vécu au-dessus de nos moyens, dans un monde industrialisé qui faisait de même. Vous voilà, nous voilà, donc trop lourds, sans assez de muscle ni d’exercice devant des émergents qui courent bien plus vite. Ils rattrapent leur retard par rapport au siècle passé. Il faut donc nous y mettre, si nous entendons garder notre train de vie. Vous verrez, l’exercice (des réformes) est douloureux au début, agréable ensuite. On perd du poids d’abord, la graisse qui fond, on en reprend ensuite, mais ce sera du muscle. »

– Tous les Médecins, alors, de se récrier : « Mais comment osez-vous critiquer, Monsieur, des dérives qui durent depuis trente ans et qui nous vont si bien ! C’est presque une tradition ! »

– Et les Doctes, à l’unisson, d’énoncer : «  L’effet affaiblissant du déficit extérieur existe, mais il est fort bien compensé par la vertu supportive du déficit budgétaire, le tout sous la vertu dormitive de nos taux bas, grâce à l’éminent Docteur Draghi, célèbre praticien romain. »

– Arrive un sage : « chers docteurs, j’ai bien entendu vos analyses. Et j’ai entendu aussi les questions de notre bourgeois et de notre homme du Tiers état, de la classe moyenne si vous préférez. Et je vous le dis tout net : ces deux compères me paraissent pleins de bon sens. Il est, je crois, possible d’être plus efficace sans pour autant dépérir. Les purges, cures d’austérité et de rigueur peuvent être largement remplacées par des analyses sur les vrais besoins, la correction des excès, passe-droits et autres abus qui nous épuisent. Dans la fabrique, le patron discute-t-il assez avec le salarié, et réciproquement, avant que chacun ne pousse de hauts cris ? Avoir plus d’activité et d’emploi n’est-il pas ce qu’ils cherchent tous deux ? Et pour cela, ne vaut-il pas mieux que l’entreprise aille mieux, autrement dit gagne plus ? Le chômeur fait-il tout ce qu’il faut pour trouver un emploi ? Le patron le forme-t-il assez ? Le malade l’est-il à ce point pour demander toujours plus de potions ? Enseigner devant des enfants est-il devenu si épuisant qu’il faut le faire de moins en moins, pour s’inquiéter ensuite quand nos jeunes n’en savent pas plus ? »

– Entre un géomètre : « savez-vous que notre monde change et qu’il est possible de numériser des documents, de traiter plus de besoins et mieux de papiers, plus vite et plus efficacement, en les remplaçant par des ordonnateurs, comme on dit de nos jours ? Au lieu de nous charger d’administrations qui nous chargent à leur tour de tailles et de gabelles, ne serait-il pas mieux de moderniser nos circuits ? L’austérité purgative est une chose, Apple en est une autre. Les portails informatiques peuvent traiter nombre de nos problèmes, quitte à aller à des guichets spécialisés quand l’affaire est délicate ou d’importance. »

– « Qui donc est cette Apple, pomme de discorde et fruit du péché ? » demandent alors nos médecins.

– « C’est une médecine moderne », répondent de conserve le sage, le bourgeois, l’homme du tiers état et le géomètre. « Vous m’en direz des nouvelles. Nous allons de ce pas aux Hôtels de Matignon et de l’Elysée les proposer, mais juste après une rencontre prévue au Club du jeu de Paume, où nous avons un Serment à faire. Paume, Apple : même combat ! »