Lettre de Karl Marx à François Hollande

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 Lettre de Karl Marx à François Hollande

 

Monsieur le président,

 

Je vous écris ce mot, car vous me désespérez. Au début, cette « finance sans visage » qui était votre « seul ennemi » m’avait intéressé. J’avoue. Bien sûr, j’aurais préféré quelque chose de plus courageux : « capitalisme financier cosmopolite », « monopoles bancaires internationaux » par exemple. Je suis pourtant bien placé pour le savoir : quand on ne nomme pas son ennemi, c’est qu’il ne l’est pas vraiment. En Allemagne, un autre grand leader socialiste, Lassalle est entré dans l’histoire de la collaboration de classe avec sa « loi d’airain des salaires ». Une belle formule, encore plus virile, mais derrière : pas d’idée. Car ce ne sont pas des lois physiques qui forment les salaires, mais les conditions économiques et sociales, en premier lieu la lutte des classes. Mon cher Engels avait bien moqué ce Lassalle et sa loi, « d’airain ou d’éponge » disait-il !

Pourquoi dis-je cela ? Parce que, Monsieur le président, vous avez tombé le masque. Rose avec les bourgeois, vert avec les petit bourgeois, vous êtes de la couleur des grands bourgeois, qui plus est internationalisés. Vous le savez au fond de vous, mais vous pensez peut-être, pour dormir la nuit (autant qu’il vous est possible, me dit-on), que vous œuvrez pour le bien de la majorité du peuple. Or le prolétariat industriel français a quasi disparu, lui qui ne vous fut jamais favorable. Les catégories intermédiaires salariées sont sous pression croissante, et votre base (électorale), ce sont les salariés du public. Pour eux, vous maintenez protections et avantages, sachant qu’ils ne sont plus tant payés par un prélèvement croissant sur les profits capitalistes (l’impôt sur les sociétés et les riches), comme devrait le faire un vrai socialiste, que par les impôts levés sur les salariés du privé eux-mêmes. Ce que je vous reproche, c’est d’avoir développé une auto-exploitation des salariés, plus précisément une exploitation de ceux du privé par ceux du public.

Pour autant, mes analyses demeurent. La loi de baisse tendancielle du taux de profit moyen est de plus en plus vraie, désormais mondiale. La création de la zone euro n’est alors rien d’autre qu’une opération retard d’un capitalisme européen agonisant sous la botte américano-chinoise. Alors, à l’exploitation du salarié du secteur privé par les capitalistes mondiaux, régionaux et nationaux que j’ai partout décrite, se superpose celle des salariés, qui vient de l’impôt national. C’est « l’austérité ».

Mais ceci ne vous suffit pas. En effet, le capitaliste s’ajuste toujours au profit du moment pour se développer, tandis que le salarié du public, lui, demande toujours plus pour entretenir sa « force de travail », indépendamment du profit privé. Ceci implique un prélèvement croissant et permanent pour le satisfaire. Il y a donc contradiction entre profit et coûts publics, une contradiction qu’un vrai socialiste traiterait en nationalisant et/ou en pressurant le profit privé bien sûr, mais aussi et surtout en réduisant la dépense publique. Tel n’est pas du tout votre choix. Ceci vous pousse d’abord, à la suite de vos prédécesseurs de droite, à augmenter l’impôt sur les salariés et la dette publique, autrement dit la charge que vous faites porter sur les salariés du secteur privé. Mais ensuite, vous-même, vous augmentez le nombre et les revenus des salariés du public, au moment même où l’économie demande et permet le contraire ! A l’exploitation directe du salarié privé par le salarié public, vous ajoutez son exploitation, accrue et différée dans le temps, par la dette.

La bourgeoisie française a si bien réussi son emprise idéologique qu’elle se poursuit au-delà de son déclin économique – par votre entremise. Son vote la pousse évidemment à droite, de plus en plus même, mais ceci ne change rien au vote des salariés du public qui font votre réélection, permettant ainsi la hausse de leurs revenus actuels et futurs. Le tragique est que, désormais, les salariés du privé, désespérés, trahissent leur classe et rejoignent la bourgeoisie nationaliste et protectionniste. Les ouvriers votent FN. Être social-traître est une chose, pousser les prolétaires dans les bras de leurs pires ennemis en est une autre !

Voilà pourquoi je me reproche ma faiblesse ces derniers mois. J’aurais dû éclairer plus tôt et plus fort les masses laborieuses et leurs leaders syndicaux et politiques, désormais qualifiés de « frondeurs », ce qui en dit long sur leur équipement idéologique et militaire.

 

Karl Marx

 

Également publié sur Atlantico.