Mail de Mario (Draghi, BCE) à Janet (Yellen, FED)

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 Mail de Mario (Draghi, BCE) à Janet (Yellen, FED)

 

Hi Janet !

 

Que je t’envie ! Je t’écris de Naples où je viens de faire ma conférence de presse et d’annoncer que la Banque centrale européenne allait acheter directement des crédits bancaires. Ah Naples… Ah l’Italie…

Tu connais mon problème : je dois obtenir 2 % d’inflation et n’y arrive pas. Et c’est pourtant mon objectif unique ! Tu as vu mon dernier score : 0,3 % en septembre après 0,4 % en août. Je sens que le doute s’installe auprès des marchés et des experts. Comme si je perdais la main. J’entends dire que je flirte avec la déflation. Ce qui est devant moi, c’est le calme plat des prix et de la croissance. La mer des Sargasses !

Bien sûr, j’ai évité le pire : l’éclatement de la zone, avec le départ de l’Espagne et de l’Italie. C’était quand j’ai lancé mon célèbre whatever it takes  de mi-2012 et fait reculer les marchés, un recul qui « entrera dans l’histoire ». Mais c’est loin. Et après, je les ai mis à une belle diète, ces pays ! Pas le choix tu me diras, à tel point qu’ils sont aujourd’hui en déflation et que le mal se répand. Bien sûr, les pays du Nord vont encore assez bien, sérieux comme ils sont. Mais ils peinent, Allemagne en tête, à tirer un char qui va moins vite, sachant qu’il est difficile de vendre plus à une Chine qui achète moins et à une zone euro en panne.

Pour avancer, je parle beaucoup (et ça marche mieux pour moi que pour toi, me disent ces vilains marchés financiers !). Je dis que je veux faire repartir le crédit bancaire, avec des banques devenues plus saines. Mais voilà : les taux des marchés financiers sont si bas, de ton fait ma chère Janet, que c’est le financement obligataire qui explose, pas le crédit bancaire !

J’ai alors parlé aux politiques d’un soutien organisé à la croissance, car, au fond, je suis au bout de ce que je peux faire. Je n’ai pas dit très fort que l’Allemagne pourrait pousser à la roue… et ceci a suffi : Angela m’a téléphoné pour que je modère ce type de proposition !

Je t’envie ! Je conduis une auto à un seul cadran (un objectif d’inflation) qui fait du surplace. Cette auto a 18 roues (18 pays) de tailles différentes. Ceci sans oublier les 23 personnes (18 pays plus 5 membres « européens » du Directoire) avec moi dans l’habitacle. Elles me « conseillent », me « soutiennent », autrement dit me houspillent ou me freinent et ont, en théorie, toutes le même poids ! Ceci sans compter, au dehors, ceux qui me demandent de ne pas respecter le code de la route (en achetant des bons du trésor) quand les riches, qui sont aussi les plus gros, me promettent le tribunal si je le fais (et ils l’ont déjà fait) !

La solution pour moi, j’ose à peine le dire, est que la situation se détériore : moins de croissance encore par panne de consommation, d’investissement et d’exports, encore moins d’inflation, baisse du crédit bancaire. La trappe à liquidité s’ouvre, la déflation arrive. D’où mes plans.

Plan A : je ne peux évidemment pas faire comme si je jouais la politique du pire. Donc j’ai décidé : dans un mois, j’achète des crédits immobiliers, comme toi, et des crédits bancaires, pas comme toi, pour relancer la machine. Honnêtement, je crains que ce ne soit pas suffisant. Je ne peux pas forcer les entreprises à s’endetter auprès des banques ! Et moins encore forcer les banques à partager avec moi les marges des quelques crédits qu’elles ont faits !

Plan B, si ça ne marche pas, pour éviter l’implosion de la zone, je passe en force et fais ce qui m’est interdit aujourd’hui : acheter des bons du trésor de certains pays. Je n’en ai pas dit un mot à Naples, pour éviter toute réaction. Donc j’attends. On ne pourra pas m’accuser de ne pas avoir tout exploré ! Là ce sera un vrai changement. C’est ce que vous avez fait et réussi aux US, avec Ben Bernanke, très fort, très vite. Ces bons du Trésor seraient évidemment ceux des pays les mieux notés : AAA, Aa1 et Aa2 (je pense à la France, au cas où Moody’s serait moins gentil la prochaine fois).

Tu t’en doutes, c’est plus usant que compliqué. Les marchés en veulent plus et sont déçus, les politiques sont divisés et les peuples inquiets. Voilà, je te dis tout. Dis-moi, alors, comment tu peux m’aider !

 

Il tuo Mario

 

La semaine prochaine, dès réception, nous vous communiquerons la réponse de Janet (Yellen, FED).

 

Également publié dans Économie Matin.