Mail de réponse de Janet (Yellen, FED) à Mario (Draghi, BCE)

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 Mail de réponse de Janet (Yellen, FED) à Mario (Draghi, BCE)

 

Caro Mario,

 

Attention au burn out ! Protège-toi de la Buba et d’Angela ! Cette Allemagne qui ralentit beaucoup, comme aujourd’hui, peut vouloir se refermer sur elle-même. Le contraire de ce que tu veux. A lire ton mail, j’ai pris conscience de ta solitude, presque de ta détresse. Quel job tu as, au « volant » de cette voiture européenne aussi surpeuplée qu’impossible à conduire, qu’on appelle la Banque centrale européenne. Et à Francfort !

Regarde ma voiture, la Fed. Elle a deux cadrans comme objectifs, inflation et chômage, et seulement dix roues (10 banques régionales qui votent). Dans l’habitacle, outre dix votants « régionaux », les patrons des banques centrales régionales que je fédère, il y a 4 permanents à Washington qui votent, plutôt sympas avec moi, plus moi. C’est plus simple ! Surtout, avoir deux cadrans est le vrai secret de ma tranquillité : je peux jouer avec. Aujourd’hui par exemple, je touche la limite de l’inflation (à 2 %) et j’ai enfoncé celle du taux de chômage (à moins de 6 %). J’aurais dû monter mes taux d’intérêt, au moins le dire, et pourtant je les tiens à 0 %. Et je répète que je vais continuer pour a considerable period of time ! Bien sûr, dans quelques jours, je vais arrêter mes achats de bons du trésor et de papier hypothécaire. Mais j’ai des milliards de bons du trésor et de papier hypothécaire en stock, pour amortir l’à-coup du freinage. Et ces milliards, je vais les garder plusieurs années !

Une vraie limo cette Fed, à traction directe, pas comme la tienne. Je n’ai pas besoin de passer comme toi par les banques pour qu’elles fassent plus de crédit aux entreprises. Je joue directement sur les taux longs. Ils sont très réactifs et décisifs pour les grandes entreprises et la bourse : les taux longs baissent un peu, et ça repart ! Il faut seulement faire attention aux embardées.

Alors, outre mes deux cadrans, j’en rajoute d’autres et je fais peur ! J’en rajoute : mes nouveaux cadrans (plus petits certes, mais je ne parle que d’eux) sont aujourd’hui construits autour du chômage, surtout de longue durée. La peur : c’est que je dis haut et fort qu’il faut continuer ma politique de taux bas, même quand j’aurai cessé d’acheter des bons du trésor, autrement le déficit budgétaire va repartir, l’inflation avec. Pourquoi donc ? Eh bien, contre mes (seulement) deux opposants internes qui me disent que j’alimente une bulle du crédit, j’ai un argument massue. Je leur dis qu’il faut tenir les taux bas pour augmenter les profits des entreprises afin qu’elles embauchent encore et soutiennent la croissance. Aujourd’hui il faut garder ces taux bas pour qu’elles embauchent les « vieux chômeurs », les seuls qui restent et sont sans emploi depuis plus de deux ans. On risque de les décourager ! C’est seulement ainsi que nous soutiendrons notre potentiel de production dans les deux à trois ans qui viennent… au milieu d’inquiétudes nouvelles qui me viennent de plus en plus de chez toi, et de Chine ! Car notre potentiel faiblit, vers moins de 2 % j’en ai peur. Bien sûr, c’est trois fois plus que chez toi ! Mais ce n’est pas tout à fait mon problème, sorry. Ici, avec une croissance potentielle plus forte, autrement dit plus de salariés plus performants en emploi, nous pourrons payer les frais d’une population qui vieillit et se soigne mieux. Plus tard, nous ouvrirons plus les frontières (officielles) aux Mexicains.

Tu me dis (méchant) que tu séduis plus les marchés financiers que moi ! Possible. Mais on dit qu’à Rome la Roche tarpéienne est à deux pas du Capitole… J’ai le temps pour moi, dans une économie plus souple et plus homogène que la tienne. Je sais bien que lorsque j’annoncerai en décembre que je remonterai bientôt mes taux (à ce moment-là, il me suffira de ne pas répéter que je les maintiendrai bas pour une considerable period of time) j’essuierai une bronca ! Et alors…

Et alors le dollar sera encore plus fort. Et alors nous irons encore mieux et les investisseurs chinois se demanderont s’ils doivent tant continuer à te financer. Tu les paieras moins que moi, dans une monnaie fondante, pour une économie flageolante ! Mon aide est de continuer comme je fais. J’espère ne pas faire trop remonter tes propres taux d’intérêt quand je monterai les miens. Ceci te ferait mal, au risque de déstabiliser ton édifice. De toute façon tu devras beaucoup parler aux marchés, toi qui sais si bien le faire.

Tu as compris, caro Mario, je ne t’envie pas.

 

La tua Janet

 

Également publié dans Économie Matin.