Retour de New York : les mots qui font gagner les États-Unis

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 Retour de New York : les mots qui font gagner les États-Unis

Patience : il en faut toujours, mais le mot va disparaître du vocabulaire de la Fed à la suite de la dernière déclaration de Janet Yellen, la patronne de la Fed, le 24 février ! Fantastique exercice de passe-passe. Patience de la part de Janet Yellen bien sûr : il lui en faut pour faire passer les taux d’intérêt à court terme de 0 % aujourd’hui à 0,25 % dans les mois qui viennent. Juin ? Disons plutôt septembre. Mais alors, pourquoi ne plus dire le mot ? Officiellement parce que « l’inflation sous-jacente », hors produits agricoles et pétroliers, est encore faible (1,4 %), mais qu’on ne sait jamais. Il s’agit d’éviter une remontée violente des taux longs, avec le risque d’un krach boursier qui l’escorte, devant un rebond surprise de l’inflation. Alors, plus on est « patient » dans la remontée des taux courts, mais en la liant de plus en plus nettement aux données économiques, plus on gagne de temps pour renforcer la croissance. Au fond, cette nouvelle « patience » de la politique monétaire américaine, c’est la « prolongation » de la montée de Wall Street en réduisant autant que possible les mauvaises surprises. Pas mal.

Chômage : il y en a encore trop. Et pourtant, avec 5,8 % de chômeurs aux Etats-Unis, on est bien proche du plein emploi. Pas vrai, vous dit-on. Beaucoup d’Américains ne sont pas retournés sur le marché du travail, découragés, et beaucoup ne travaillent que quelques heures par semaine. Ce qui est en jeu, au delà de ce taux de chômage qu’on envierait en Europe, c’est la croissance à moyen et long terme. Car c’est elle qui permettra au pays de continuer à croître, en dépit du vieillissement de la population, qui obsède tout le monde. Les États-Unis veulent donc mobiliser toutes leurs capacités humaines pour croître plus que l’Europe – bien sûr – et continuer sur leur trajectoire de croissance à 2,5 % – au moins. Et pour le plus longtemps possible. Alors, le plein-emploi aujourd’hui, vous dit-on parfois, c’est 4,8% de chômeurs ! Pas mal.

Salaires : ils ne montent pas assez. Bien sûr, il ne s’agit pas des salaires et des bonus de Wall Street (eux, ça va), mais de ceux des ouvriers des PME et des salariés du commerce. Normalement, avec ce taux de chômage, il devrait y avoir plus de hausses de salaires, liées à des difficultés d’embauche. Mais rien ne vient. Il faut donc augmenter les bas salaires. Wall Mart, une société bien connue pour sa « patience » en ce domaine (et dont une part des employés bénéficie de l’aide publique, les « food stamps »), vient de décider une hausse de 3 % de ses salaires et aucun salaire horaire inférieur à 9 dollars par heure. Est-ce le début d’une vague qui va se répandre ou la preuve des difficultés à recruter dans ce type d’activité ? On verra. Mais ce qui inquiète partout, c’est que de cet écart qui persiste entre emploi et salaire pourrait naître une réaction salariale haussière, brutale, bousculant les plans de la Banque centrale américaine. On comprend qu’avec ces hausses attendues, pour ne pas dire souhaitées, non seulement la croissance sera plus forte, mais plus encore le risque d’un choc d’inflation salariale réduit. Pas mal.

Essence : son prix baisse, et alors ? Sans aller jusqu’à faire entrer en scène l’Arabie Saoudite et l’Iran, il y a quand même, vous explique-t-on, un ralentissement économique mondial, au moment même où la production pétrolière monte, notamment aux États-Unis (gaz et pétrole de schiste). Donc, avec cette baisse des prix, les Américains gagnent du pouvoir d’achat… et roulent plus. Certes, les producteurs américains de pétrole de schiste arrêtent leurs investissements et freinent certains puits. Il y a et aura des pertes, mais la position américaine, tout compris, est aujourd’hui positive. Et plus tard on réouvrira les puits dans le Dakota ! Pas mal.

Dollar : il est fort, et alors ? Par rapport à l’euro, l’essentiel de la hausse est supposé avoir eu lieu. Et par rapport aux devises de pays émergents en ralentissement comme la Chine, ou en difficulté comme le Brésil, ou en crise comme la Russie… il n’y a pas grand-chose à faire. Ce sont leurs crises qui sont en cause. Après tout, les Etats-Unis montent en gamme avec leurs produits sophistiqués et les émergents ne sont plus ce qu’ils étaient, des exportateurs de produits à faible valeur ajoutée. En fait, le taux de change euro-dollar est ici reconnu comme le plus important. Certains (Goldman Sachs) annoncent même la parité : un euro pour un dollar, mais il y aura des réactions américaines avant ! Dollar fort parce que les États-Unis sont de retour dans le monde : d’accord. Mais dollar fort par rapport à l’euro : point trop n’en faut. Alors : même pas mal !

Piketty : il est partout ! Certes, les États-Unis répètent constamment que la richesse est la rémunération du courage et de la prise de risque. Mais ils ajoutent désormais que trop d’inégalités ont des effets négatifs. Elles font naître de nouvelles tensions et surtout bloquent la reprise, en affaiblissant la consommation. De fait, augmenter un très riche ne le fait pas consommer plus. Alors, le taxer plus ? Voyons, soyons sérieux… En revanche, forcer les compagnies américaines (Apple, Google…) à rapatrier leurs profits qui sont partout, notamment en Europe, voilà une piste. Toujours pas mal !

 

Également publié dans Economie Matin.