Du Bellay, Corneille, Hugo, Jarry et Sartre en conf. call

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 Du Bellay, Corneille, Hugo, Jarry et Sartre en conf. call

Joachim du Bellay : « France, mère des arts, des armes et des lois ». Quand je pense que c’est moi qui ai écrit ça !

Victor Hugo : mais c’est toujours beau et c’était vrai, en 1558 !

Pierre Corneille : « Apprends à te connaître, et descends en toi-même. » Ça c’est de moi et toujours aussi vrai.

Les autres : surtout s’il s’agit de descendre !

VH : mauvais esprits que nous sommes ! Or le temps est grave. Regardons donc pourquoi nous nous réunissons aujourd’hui. La France est à terre, gémit, ploie sous les impôts et les dettes, le chômage et la peur. Mais elle reste la France, le soleil du monde. Nous devons agir !

Alfred Jarry : merdre, restons simples ! Je ne dis pas que Père Ubu règne ici sur nous, mais ailleurs, vous avez vu les candidats ? Comment en sortir ?

Jean-Paul Sartre : par la conscientisation des masses, aujourd’hui éperdues devant la culture dominante, qui est en même temps déclinante, notamment aux Etats-Unis, qui payent leur impérialisme. C’est la cause du peuple qu’il faut écrire et défendre, maintenant qu’elle est partout livrée à ces chiens non-communistes !

VH : calme, ce n’est pas l’excès qui ouvre les portes. Il les ferme, les cœurs avec.

JPS : j’aimerais vous y voir !

Les autres : allons, avançons. Publions un manifeste des écrivains français ! Commençons.

PC : Ô rage, ô désespoir, n’avons-nous tant vécu
Que pour voir en cinq ans flétrir tant de lauriers ?
Nos plumes qui, tant de fois, ont vanté cet empire,
Tant de fois affermi la France qu’on admire,
Joignent de leurs exploits les glorieux ornements,
Offrent de leurs efforts ce glorieux parement…

Les autres : assez daté comme style, mais pas mal. On sent un souffle.

JPS : mais pas de programme, pas de prise du pouvoir par le peuple ! De la prose où les vers se sont mis !

Les autres : salaud ! Ce n’est pas à nous d’écrire ce que le peuple souverain veut faire, par construction.

VH : Oui, et je continue en prose. Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité. C’est la nôtre, écrivains français des siècles passés, d’éclairer les risques et les solutions pour la France éternelle car si on résiste à l’invasion des armées, on ne résiste pas à celle des idées.

JdB : pour mieux décrire ces risques, je propose « les loups cruels » et « je sens venir l’hiver ».

Les autres : on verra. Mais il faut appeler au sursaut, pas aux câlins et à la mamelle !

AJ : et ne pas oublier non plus qu’il faut grossir le trait et dire que chercher le pouvoir, c’est toujours chercher les impôts sur le « cheval à phynances » et pour cela bien sûr, décerveler. Si on est trop subtils, on rate l’effet par rapport à l’ennemi qui, lui, ne s’embarrasse pas de tant de finesses.

VH : évitons cependant de choir dans sa fange native !

Les autres : certes cher Victor, mais n’oubliez pas que vous aviez proposé vous-même de « mettre un bonnet rouge au vieux dictionnaire ».

VH : avançons donc. Notre cher pays est en danger sur ses valeurs, car il n’a pas assez confiance en elles. Il ne travaille plus assez, or l’oisiveté est le plus lourd des accablements. Il lui faut donc proportionner la jouissance à l’effort et l’assouvissement au besoin. Nous verrons ensuite ce que ceci veut dire en heures – et s’il faut en faire une loi. Pas sûr, car Dieu veut que l’homme désobéisse. Désobéir, c’est chercher.

Les autres : avançons encore, il nous faut une accroche : France, réveille-toi ! Mettons en avant nos atouts : la langue, le pays, notre influence culturelle et soulignons que tout ceci peut être menacé par notre peur et notre renoncement. Oui, pour la première fois de notre histoire, dans la paix et par notre choix même, devant l’usure des pouvoirs actuel et antérieur ! Car nous risquons de refuser les efforts et les risques, et nous laisser conduire…

AJ : par une nouvelle Mère Ubu !

Les autres : nous vous laissons la responsabilité de la comparaison. Mais il y a effectivement un grand risque non pas d’ubérisation mais bien d’Ubuisation de nos vielles sociétés, pourtant pétries de culture, devant l’ampleur des changements à entreprendre, des révolutions à mener et des risques. Il est donc décisif que nous écrivains français, qui ne sommes plus obsédés par les médias, disions que ce risque d’échec n’existe pas, pour autant bien sûr qu’on travaille et cherche toujours plus et, aussi, qu’on nous lise, commente et critique. Alors : France réveille-toi, avec tes auteurs ?

JPS : je ne signe pas ce manifeste bourgeois !

Les autres : nous oui !