La Nuit debout nuit par les deux bouts

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A Paris, de jeunes noctambules se réunissent chaque soir, Place de la République. « Place de République » ou « à la place de la République » ? C’est la question et le risque : celui d’augmenter les tensions, du bout de l’extrême gauche à celui de l’extrême droite, sans rien résoudre. Au contraire.

 La Nuit debout nuit par les deux bouts

Difficiles à comprendre en effet, ces échanges nocturnes. Ils se veulent démocratiques et non violents – sauf quand ils expulsent qui ne leur va pas, cassent des agences bancaires, ou peuvent provoquer des drames. Ils sont si difficiles à comprendre que ces jeunes sont de plus en plus rejoints par des vieux.

Soixante-huitards en retraite ou élus socialistes, ils ne veulent pas rater le remake de leurs émois d’antan, mais ils partent déçus. Impossible en effet d’espérer de nouveaux « jouir sans entrave » ou « interdit d’interdire » : le mariage gay est là, plus tout le reste. C’est donc moins festif qu’en 68. Il s’agit d’avancer dans ce monde plus complexe et surtout plus risqué, avec ses deux faces : révolution de l’information face à la contre-révolution obscurantiste et terroriste. Autre chose que CRS-SS !

C’est plus limité aussi qu’en 68. Impossible de jouer Occupy Wall Street, dans notre Place financière. Impossible d’être indignado quand on ne veut que des emplois à temps plein et à durée indéterminée par rapport à ceux qui ont vu baisser retraites et salaires, qui travaillent au black – et dont l’économie repart.

La Nuit debout, c’est la crise mondiale comme on la vit à Paris, en cette fin du plus long mandat de la Vème, sous présidence de gauche. Elle a commencé par « un seul ennemi, la finance », s’est poursuivie par des hausses d’impôts. Viennent des ouvertures avec la Loi Macron, puis des allers-retours avec la loi El Khomri, au milieu de ventes d’armes record, à cette chère Egypte notamment. On peut idéologiquement s’y perdre. Pire, devant, il y a 1 % de croissance et une dette publique qui monte. Et pourtant, cette dette se vend bien, surtout à l’extérieur et à des taux très bas (0,5 % pour des emprunts à 10 ans !). Et on ne calcule même pas la dette sociale des retraites et de la santé ! À n’y rien comprendre !

La Nuit debout, c’est l’insomnie contre la vérité complexe de notre situation. C’est l’illustration d’un désarroi plus que d’un déni, tant notre monde vacille, tant les illusions se déchirent, tant la tâche est immense pour le faire changer, tant il y faut plus de courage que de résistance au sommeil.

D’abord, il faut savoir que nous ne sommes pas seuls dans ce cas. Partout les structures craquent, parce que l’information se diffuse. Elle est à la source de cette révolution technologique puis sociologique que nous vivons, non pas parce qu’elle détruit des emplois, mais surtout parce qu’elle expose des inégalités de situation, de patrimoine et plus encore des comportements indéfendables. Le caché fuit de partout.

Ensuite, il faut accepter ce nouveau réel. C’est celui de la communication permanente. Il bouleverse les conditions d’échange, donc d’emploi. Il implique de revoir ce qui se produisait et se vendait, et les salaires qui allaient avec. Les fameux « avantages acquis » étaient (plus ou moins) possibles avant. Aujourd’hui, ils ne résistent plus à la concurrence internationale, à la Chine, à Internet, à l’euro qui empêche les dévaluations, ni aux surveillances de tous, sur la montée des déficits budgétaires et sociaux notamment.

Enfin, et c’est le plus difficile, il faut avoir le courage de faire la révolution – la vraie. Pas celle qui consiste à répudier la dette publique ou à sortir de l’euro, pour repartir d’un pas plus léger. Les réformes oubliées vous rattrapent, vite. La révolution consiste à admettre que le nouveau capitalisme qui s’ouvre sera, plus que les autres, celui d’un échange plus transparent et plus souple, car plus informé. Alors, pour y gagner, pour être plus compétitif, il faudra être plus efficace dans la durée sur plus de domaines, pas seulement le coût. Alors, cette compétitivité hors coût qui fera la différence demandera plus d’implication de chacun, car elle sera plus servicielle. Et elle sera rémunérée par des packages : salaires, compléments de retraite, actions de l’entreprise, formation, le tout avec un esprit d’équipe à développer.

La crise du capitalisme résolue par le capitalisme ? Comme toujours. La crise du politique réduite par l’entreprise ? Plus que jamais. Réveillons ceux qui dorment debout ! Et réveillons-nous, en même temps !