La reprise française a-t-elle mangé son pain blanc ?

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Oui : nous avons fait la partie facile de la reprise. C’était celle que permettaient les taux bas, l’euro faible, la reprise des voisins, le pétrole pas cher. C’était un rattrapage, sans les réformes. Après ce sera plus dur, avec des taux plus élevés, un euro plus fort et des pressions européennes pour réduire notre déficit budgétaire, sans nous accorder de délais cette fois. Pire, viendront alors la concurrence des entreprises en meilleur état que les nôtres. Elles se sont réformées – elles.

Oui : le premier trimestre a été meilleur que prévu (+0,6 % de croissance du PIB, contre 0,4 %) et 2016 s’annonce assez bien. Ce sera 1,5 % au moins, contre 1,2 % en 2015, mais après ? Des interrogations naissent : l’économie américaine ralentit, vers 2 % au plus pour 2016, l’économie européenne va vers 1,8 % en 2018, plus les tensions sociales et la pluie ici. Comment notre croissance va-t-elle donc se poursuivre dans les trimestres à venir ? Allons-nous remonter la pente ? 2 % est théoriquement possible, mais pas facile. La croissance prévue en 2018 sera de 1,6 %, nous annonce la Banque de France.

Oui : l’emploi s’est amélioré alors que la reprise économique était faible, ce qui est surprenant et illustre le rattrapage en cours. Avec 82 000 nouveaux emplois dans le privé et 20 000 dans le non marchand en 2015, « ça va mieux » selon le BIT, où le taux de chômage (France métropolitaine) baisse de 0,1 % de la population active pour passer à 9,9 %. « Ça va mieux » aussi selon les derniers chiffres de Pôle Emploi. Pour le deuxième mois consécutif, le nombre de chômeurs de catégorie A diminue en effet, cette fois de 19 900 personnes.

Le pain blanc de la rentabilité ? Pas vraiment. Outre les baisses des taux et du pétrole, plus la modération salariale, le CICE a accru la rentabilité des entreprises de près 2 % de la Valeur Ajoutée, et les mesures prises récemment pour l’embauche en CDI et CDD jouent. Plus de 200 000 dossiers ont ainsi été déposés en trois mois au Ministère du travail pour obtenir une prime de 500 euros par trimestre pendant 2 ans (soit 4 000 euros maximum) à l’occasion d’une embauche en CDI ou en CDD de plus de 6 mois.

Et après le pain blanc ? Le rassis, au mieux. Sans vraie impulsion, en effet, venant de la rentabilité des entreprises, hors CICE et subventions cette fois, le risque est d’une lente décrue du chômage et, pire, d’une lente reprise de l’investissement. Le taux de marge des entreprises françaises atteint 31 % contre 36 % en Allemagne. Ce qui se passe aujourd’hui est donc fragile, pour des raisons sociales, financières et politiques. Le social, c’est la façon dont va se régler la loi El Khomri. C’est la réécriture, ou non, du fameux article deux sur « l’inversion des normes », autrement dit sur le pouvoir relativement plus fort de l’entreprise par rapport à la branche dans la négociation. Le financier va intervenir ensuite, quand les taux d’intérêt américains vont monter, signalant leur remontée générale. La question sera, avec Mario Draghi, de la freiner. C’est alors que le politique va frapper, plus fort, avec les primaires, puis les présidentielles, puis les législatives.

Le pain noir ? Pourquoi pas ? D’ici quelques mois, quand les conditions extérieures seront moins faciles et nos concurrents plus forts, il faudra faire les réformes, aujourd’hui repoussées alors que le temps était plus propice. On regrettera le pain blanc.