Alain Juppé : « Moi Président, grâce à l’identité heureuse ! »

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 Alain Juppé : « Moi Président, grâce à l’identité heureuse ! »

La Newsletter (LN) : Bonjour Monsieur le Président – de Bordeaux Métropole. Vous pensez gagner à l’élection présidentielle le 7 mai prochain ?

Alain Juppé (AJ) : Bien sûr que oui, grâce à l’« identité heureuse » !

LN : Je sais que c’est votre slogan, mais le monde entier est inquiet, la France plus encore. Elle doute beaucoup de son identité, alors dire qu’elle est heureuse…

AJ : Je sais bien, avec Braudel, que la France est diverse. Je sais aussi, avec Michelet, que c’est une personne. Disons donc que c’est une personne diverse. Il faut aujourd’hui la réunifier, en lui proposant un avenir heureux.

LN : Mais le chômage, la crise, les attentats…

AJ : Je les perçois bien, dans toutes mes rencontres. Mais il ne peut pas y avoir d’évolution positive dans le ressentiment et la peur. Pour des raisons politiques bien sûr, mais profondément économiques, notre pays souffre et doute. Il ne peut se sortir d’affaire qu’en mobilisant ses capacités. Or elles sont diverses, comme la France, avec ce qu’offre chaque territoire. C’est le vin à Bordeaux, le foie gras dans le Gers, l’avion à Toulouse, la santé à Lyon, les parfums près d’Orléans, les paquebots géants à Saint-Nazaire et la distribution dans le Nord…

LN : Mais l’essentiel de votre programme à court terme est fiscal et budgétaire, national, pas régional !

AJ : Et oui, j’annonce des « chocs » nationaux, même si je n’aime pas le mot. Ce sera d’abord un choc fiscal avec une baisse significative des impôts des entrepreneurs et des actionnaires. Il s’agit de faire repartir l’investissement et, surtout, le moral. Ce sera ensuite un choc de baisse des impôts sur les particuliers, pour qu’ils consomment et investissent plus. Ce sera enfin un choc d’efficacité publique en réduisant, graduellement, le nombre de fonctionnaires.

LN : Nous sommes repartis comme en 1995 ?

AJ : Vous savez que j’y pense en permanence, à cette France bloquée. J’ai vu les manifestations liées à la loi El Khomri et j’ai compris le message. J’ai également compris que les marchés financiers nous feront confiance si et seulement si la rue est assez calme. J’aurai donc peu de temps : deux ans, trois maximum. C’est pour ça que j’ai annoncé des ordonnances.

LN : Des ordonnances pour soigner ?

AJ : Presque. Pour gagner quelques mois, avant les vacances. Je sais que ces ordonnances vont créer un autre choc, mais je n’ai pas le choix. C’est pour ça que je parle en permanence d’« identité heureuse ». Une sorte d’antidote, une façon de gérer les anticipations, pour que ça ne dégénère pas. Car je sais bien que j’aurai très peu de temps entre la vitesse des mesures fiscales, la réaction attendue sur l’investissement et sur l’emploi et la compréhension que j’attends des fonctionnaires, du secteur public et des marchés financiers.

LN : Une compréhension des fonctionnaires ?? Mais vous disiez tout à l’heure que vous rencontriez une France diverse, selon les territoires que vous visitez. Pourquoi votre politique n’est-elle pas territoriale ?

AJ : Tout le monde attend de moi une politique nationale. Je veux être Président de la République, pas Président des régions ! Mais vous savez, parler de régions, c’est la meilleure façon de déchaîner les passions. Regardez Alstom. Impossible de dire qu’on veut déshabiller Pierre pour habiller Paul et ainsi mieux les préparer à la concurrence mondiale. Ou alors on fait comme François, qui habille Pierre et Paul et demande à leurs enfants de payer la note !

LN : Mais quand même, pourquoi ne pas être plus précis ?

AJ : Si on est trop précis, le programme vieillit tout de suite, sans compter les idées qu’on va me prendre, notamment François. Si on est trop vague, on va dans la philosophie et personne ne me suivra. Il faut que je trouve un « juste milieu », sans dire que je suis sous l’œil de Bruxelles et, moins encore, de la finance. J’aurai besoin de l’un et de l’autre. Ce n’est pas facile.

LN : C’est pour cela que vous retenez vos coups ?

AJ : Je suis plus sarcastique que violent, si vous voyez à qui je fais référence. Et surtout, je ne veux pas inquiéter. Réduire les impôts, c’est ce qu’il y a de plus facile. Réduire la dépense, ce qu’il y a de plus compliqué. Combiner les deux pour que les gens y croient et ne se mettent pas à thésauriser, ce qu’il y a de plus difficile et compliqué. Voilà mon défi !

LN : Au fond, l’« identité heureuse », c’est une prophétie auto-réalisatrice ?

AJ : Si elle marche, oui.