Les dividendes de la guerre

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Pourquoi pas ? Dépenser plus pour nous renforcer dans les guerres que nous vivons, pour croître plus et plus longtemps ? C’est peut-être un grand mal diront certains, mais peut-être pour un grand bien. Qu’en savons-nous ?

 Les dividendes de la guerre

Nous voyons ce qu’ont donné les « dividendes de la paix ». Moins de dépenses en armes, en armements et en soldats devaient permettre de financer plus de formation, de logements et d’aides, pour une société plus unie et harmonieuse, avec plus d’emploi, notamment pour les jeunes. Pourquoi cet échec ? Les dividendes de la paix nous promettaient 1 % de croissance en plus, si nous dépensions plus et mieux, pour former, accompagner et réduire nos foyers de tensions sociales. Seul problème : le terrorisme était oublié.

Reconnaissons que nous comprenons mal ce qui nous arrive. Plus de 70 ans de paix en France, deux générations, il faut remonter de trois siècles dans l’histoire de France pour retrouver une telle période de « calme ». Notre dernière guerre, avec l’Algérie, donc surtout hors métropole, s’est achevée le 18 mars 1962 avec les accords d’Evian, approuvés par 91 % des votants de France métropolitaine, le 8 avril 1962. Depuis, nous avons nié les tensions, les exclusions et la violence, sauf au cinéma.

Pourtant, nous n’avons jamais connu la paix. Si la guerre du Vietnam était plus idéologique, celle d’Afghanistan se voulait « religieuse ». Elle annonçait le basculement du monde vers d’autres types de conflit, alors que nous pensions apporter la liberté par le vote et le confort par le libéralisme. Dividendes de la paix, ou du rêve ?

Aujourd’hui, nous menons une double guerre, en temps réel, sans exemple historique. « Classique » et « terroriste » à la fois, elle se déroule sur plusieurs pays et plusieurs registres, notamment médiatiques. La première est surtout, pour nous, une « téléguerre » en Afrique, où nous devrions avoir l’avantage technique. Elle se passe en large part par air et par mer, contre un État qui vient de naître et qu’aucun autre ne reconnaît, mais qui a (au moins) la rationalité de vouloir s’étendre. « Téléguerre » parce que, sur le sol, ce sont surtout des troupes locales qui agissent, plus celles de voisins et d’alliés (très politiques), plus notre appui (crucial en Afrique francophone) – mais pas vraiment celui d’autres européens. La deuxième guerre se déroule ici, contre des « soldats » qui sont nos concitoyens ou d’autres Européens, mais dont la rationalité est de mourir en faisant le plus de morts et de dégâts possibles, surtout médiatiques. La « guerre classique », là-bas, veut des terrains et des convertis, tuant les autres – nous devons la gagner. La guerre d’ici veut nous terroriser – nous devons changer, pour la gagner.

Contre ces deux guerres réunies, il ne peut y avoir de dividendes rapides de la paix. La victoire prendra du temps, de l’argent, de la formation, de l’explication, des choix politiques forts et surtout l’engagement de chacun. Elle passera partout par la croissance, l’éducation, la lutte contre la corruption et le dialogue des religions, ce qui implique leur évolution. Elle passera, en France, par plus de dialogue interne, pour réduire nos différences et abaisser nos barrières. Reconnaissons-le : les jeunes qui vivent le chômage et au mieux l’intérim peuvent enrager devant cet inaccessible CDI. La victoire passera, en Europe, par plus de liens et d’intégration, par des échanges de fichiers bien sûr, par plus de confiance et de coopération, dans une démarche plus fédérale.

Alors : si nous changions de logique ? Si, au lieu d’attendre ce 1 % de croissance des dividendes de la paix qui se transforme en – 1 % d’inquiétude, nous faisions autre chose ? Si nous dépensions davantage, pour nous protéger plus et mieux, en soldats et en experts, en matériels et en renseignement ? Si nous dépensions davantage, en même temps, pour former plus et mieux les jeunes et réduire les ghettos de nos banlieues ? Si nous dépensions davantage pour construire une Europe plus intégrée et mieux protégée ? Et si nous en parlions plus ? Alors, nous trouverions la seule et vraie raison pour changer plus vite nos structures privées et publiques, et dépasser tous ces conservatismes qui nous bloquent ! Alors nous aurions 1 % de croissance de plus, venant de ces différentes « dépenses de guerre », en attendant celle venant de la vraie paix, sociale.

Contre ces deux guerres, il nous faut deux victoires : contre les autres et contre nous, en étant plus ensemble.