La complotmania

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C’est la pire des maladies contre la croissance et la démocratie – et elle se répand. Trois symptômes : « On nous ment. Rien n’est vrai : nouvelles, chiffres, idées. Tout est manipulé par quelques-uns à leur profit ». Mais qui sont ces « quelques-uns » ? Le complot, pour les uns, c’est le combat de la vérité contre les puissances et idées dominantes. Écoutons-les d’autant plus que c’est étrange et combattu. Le complot, pour les autres c’est le parti de la peur et de l’obscurantisme. Luttons contre.

 La complotmania

C’est évident : le premier homme n’a pas marché sur la lune le 21 juillet 1969, mais dans un studio d’Hollywood. Il s’agissait de ruiner les Russes dans la course à l’espace. Ce sont des opposants américains au Président des Etats-Unis qui ont détruit les Twin Towers le 11 septembre 2001, à moins que ce ne soient les services secrets israéliens. Il s’agissait de pousser les États-Unis à la guerre. Autrement, comment comprendre cette chute si parfaite des deux tours, si elles n’avaient été auparavant minées ? Ce sont les services secrets américains qui ont déstabilisé l’Ukraine, pour affaiblir la Russie. Derrière la chute du prix du pétrole, il y a l’Arabie saoudite. Derrière le yoyo de l’or, il y a les fausses nouvelles chinoises sur leurs réserves, pour en faire baisser le prix et en acheter moins cher.

La liste de ces « analyses » s’allonge. On y retrouve les Etats-Unis, la Russie, Israël, de plus en plus la Chine. La France y est peu présente, comme d’autres puissances moyennes, sauf s’il s’agit de ressources et lieux stratégiques pour elle ou bien de ses anciennes colonies.

D’où vient cette complotmania ? De loin. Nous avons toujours aimé expliquer l’histoire par les manipulateurs. C’est plus intéressant que le hasard, qui donne ce qu’on voudra. C’est moins décevant que la lutte des classes, qui donne Russie, Chine ou Cuba. C’est plus passionnant que l’histoire, qui donne également ce qu’on voudra.

Aujourd’hui, c’est plus grave. D’abord, ces théories du complot s’adaptent bien aux situations que nous vivons, où le « faible » s’oppose au « fort ». Mais ce « faible » l’est moins que jamais. Comme toujours, c’est un petit groupe déterminé, mais aujourd’hui formé aux ordinateurs et aux réseaux de communication. Son influence dépasse ainsi largement son « poids » humain, économique ou financier.

Ensuite, les zones de friction actuelles sont favorables aux théories du complot. Elles sont multiples, étendues, se chevauchent : religions, frontières et propriétés du sol ou du sous-sol, eau, pollutions, minorités ethniques, sociales, politiques… Divers groupes y « défendent » leurs valeurs, dans tous les sens du terme, avec toutes les alliances qu’on voudra. C’est « l’extension du domaine de la lutte ».

Enfin et surtout, les caisses de résonnance sont énormes dans notre monde d’hyper-communication et de réseaux sociaux. Nous vivons entourés de messages anonymes et excessifs. La face obscure du Net, les backdoors qui nous écoutent, les grandes oreilles qui entassent les bruits du monde et les « interprètent », les virus : tout nous inquiète. La base de la complotmania, c’est que nous sommes prêts à tout croire.

Surprise : « l’allié objectif » du complot, c’est la finance. La finance, parce que le public croit que quelques grands de ce monde se réunissent pour manipuler les devises ou les taux d’intérêt, faire voter les lois, discréditer tel régime, tuer ou lancer telle idée – à Davos ou ailleurs. La finance, surtout : elle est en elle-même un système qui doute, fouine et presse sur ce qu’elle « trouve » – pour voir si c’est vraiment vrai. Elle déstabilise.

Cette atmosphère nous coûte. Si tout est truqué, qui croire ? Pourquoi faire des efforts : lâchons prise ! Le « fort » voit sa croissance ralentir, sa bourse s’agiter, son chômage monter, ses tensions internes croître, la peur s’y répandre. Les comploteurs ont gagné : ils ont semé le doute, miné la confiance, ébranlé l’édifice social.

Comment réagir ? Bien sûr, il faut chercher qui est derrière tout cela, par le pistage et le démontage. C’est toujours l’idée, toujours plus difficile à mettre en œuvre. Faire peur ? Inutile de créer des martyrs. En rajouter ? C’est leur donner raison. Les ridiculiser ? Leurs actes ne s’y prêtent pas. S’unir contre ? Oui, mais pas facile : le complot est là pour diviser et mute en permanence. Soutenir la croissance : plus que jamais. Contre le com-plot, cette « pelote » qui se forme (selon une belle étymologie), rien ne vaut le com-pact.

 

Voir sur ce sujet Une France qui croit peu et qui est lasse, le Zoom du 29 octobre.