Les douze Césars de notre monde

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Qui sont les chefs de ce monde ? Nouveaux chefs de ce nouveau monde plutôt, tant tout change vite autour de nous, pas nécessairement pour le mieux. Les voilà donc, par ordre alphabétique français, pour n’en vexer aucun : Abe Shinzo (Japon), Bolsonaro Jair (Brésil), Erdogan Recep (Turquie), Macron Emmanuel (France), May Theresa (Royaume-Uni), Merkel Angela (Allemagne), Poutine Vladimir (Russie), Rohani Hassan (Iran), Salmane Al Saoud Mohamed ben, dit MBS (Arabie saoudite), Salvini Matteo (Italie), Trump Donald (États-Unis) et Xi Jinping (Chine). 2 femmes pour dix hommes, 59 ans d’âge moyen, entre le junior : MBS, 33 ans, et le senior : Trump, 72.

 Les douze Césars de notre monde

A quels anciens Césars nos nouveaux ressemblent-ils ? Obéissent-ils aux descriptions à la serpe de Roger Vaillant, dans sa lecture de la Vie de douze Césars de Suétone ? Où sont les équivalents de César, Auguste, Tibère, Caligula, Claude, Néron, Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, Titus ou Domitien ? Bien sûr, ne cherchons pas de répliques : l’histoire ne se répète pas à ce point.

En revanche, elle a peut-être un « sens ». Nos actuels Césars vont-ils suivre la terrible dérive décrite par Suétone ? « Normaux » en général au début, bons soldats et fins politiques même, ils deviennent défenseurs de la morale, du sang romain et grands bâtisseurs à leur prise de pouvoir, puis mangeurs et jouisseurs sans limites, puis meurtriers, de leurs proches d’abord, puis meneurs de spectacles, jusqu’à ce que le spectacle les engloutisse, jusqu’à leur mort. Dix Césars sur douze périssent de manière violente, assassinat ou suicide. Neuf sur douze ont poussé la cruauté à l’extrême. Tous ont vu leur début fêté par le peuple, et aussi leur fin.

Un risque grave pèse sur nous : sur les douze Césars actuels, 6 sont des « pouvoirs forts », 4 des démocraties, dont les chefs sont constamment secoués (Theresa May avec le Brexit, Angela Merkel annonce son départ) et 2, en Italie et aux États-Unis, deviennent de plus en plus autoritaires. Où tout ceci va-t-il finir ? Les marchés financiers, soucieux du respect de la liberté et des normes, parlent surtout de commerce, pas de démocratie. On sait qu’ils aiment assez les régimes forts, à condition qu’ils demeurent présentables, avec l’idée qu’ainsi ils sont prévisibles, les profits avec.

Evidemment, on ne retrouvera plus les festins excessifs des temps anciens. Ce n’est pas un progrès de la morale : ils sont rendus impossibles, avec ces médias qui vantent la santé du corps ! Même chose pour les mœurs dissolues, avec #Metoo et les réseaux. Mais on ne peut pas dire que les incarcérations, les tortures et les meurtres ont partout disparu, même « sous » l’omniprésence de Facebook et d’Apple. Plus d’informations que jamais circulent, mais quelques-unes seulement le font en boucle, occupant le paysage, par buzz interposé. Certaines, excellemment fabriquées, trompent de mieux en mieux, au moins sèment le doute. Les anciens Césars respectaient les dieux, du moins les craignaient-ils. Ils consultaient les prêtres, quitte à faire tuer ceux qui leur annonçaient de trop mauvaises nouvelles. Certains nouveaux Césars créent aujourd’hui leurs oracles. Quelques-uns, aux Etats-Unis semble-t-il, paraissent même y croire.

Comment tout ceci va-t-il finir ? Les anciens Césars se succédaient, et l’Empire romain a disparu. Les nôtres sont tous là : quel(s) empire(s) va(vont) donc périr ? Avec quels soubresauts ? Nos modernes oracles, les marchés financiers, croient que la période féérique qu’ils vivent va se poursuivre, tout en annonçant le pire en permanence. « 29 » devrait être une aimable plaisanterie en comparaison. Nos experts de tout poil tentent de comprendre les stratégies qui animent quelques Césars, alors que l’incompétence, la bêtise et sans doute la folie ont aussi leurs parts dans ce qui se passe, quitte à le rendre incompréhensible.

Au fond, ce qui demeure, des anciens Césars jusqu’aux nôtres, c’est le théâtre. Théâtre des grandes réunions du G20, ballets du G7, plenums chinois concurrents des hearings américains, feux d’artifices de tests militaires, vrais feux de guerres sauvages, mais limitées aux confins des empires de chacun : nos jeux du cirque ne manquent pas. Néron l’assurait, au moment de se poignarder : « quel artiste périt avec moi ! ». Sans vouloir bien sûr de tels actes de nos chefs actuels, la folie du pouvoir semble à l’œuvre, les freins de la démocratie s’usent. « Gouverner c’est faire croire », disait Machiavel. Mais à quoi ?