Loi El Khomri et Démocratie Assistée par Ordinateur

- Ecrit par

Géniaux, ces réseaux sociaux pour faire reculer le gouvernement sur la loi El Khomri ! Surtout si on les excite en parlant de 49-3. Mais est-ce que la démocratie, la croissance et l’emploi y gagnent pour vaincre dans ce nouveau monde ? Changer deviendrait électronique ? Sauf si l’électronique empêche de changer. C’est la question qui se pose, devant ce 1,1 million de Français qui, en quelques jours, exigent du gouvernement qu’il ajourne un projet de loi connu par quelques propositions, sur le temps de travail, les licenciements économiques ou les prud’hommes. Poussés par cette marée d’emails, les syndicats de salariés durcissent leur position, les étudiants arrivent, les grèves suivent. Promis : le gouvernement va « améliorer » son texte. Présenté au Conseil des ministres, les Français pourront le lire et les élus en discuter, dans le cadre de la « vieille démocratie ». Taxer les CDD et revoir les barèmes : ce serait donc la solution ?

 Loi El Khomri et Démocratie Assistée par Ordinateur

Pas sûr, car pendant ce temps, l’économie patine. Le chômage français amorce sa baisse, mais après les autres. Son taux diminue légèrement (à 10 % en fin d’année 2015 selon le BIT et à 10,2 en janvier selon Eurostat), contre 4,3 % en Allemagne, 6,5 % aux Pays-Bas, 11,5 % en Italie et 20,5 % en Espagne. Il est à peine en-dessous de la moyenne de la zone euro (10,3 %). Il dure 574 jours, toutes catégories confondues. Les plus de 55 ans s’inquiètent de leur emploi, avec les difficultés qu’ils auront à se replacer. Les « entre 25 et 55 ans » s’accrochent au leur. Quant aux moins de 25 ans, un sur sept en cherche, empilant apprentissages, stages et CDD. Et si le CDD est plus cher, il y en aura moins, ou alors le salarié sera moins payé – lui.

Pas sûr, car pendant ce temps, tout le monde s’inquiète. Les patrons s’inquiètent, notamment dans les PME et TPE, de leurs carnets de commandes, délais de paiement et marges, plus des régulations et normes qui viennent et augmentent leurs coûts, déjà élevés pour la France et supérieurs à leurs concurrents étrangers. Ils vivent deux risques : celui de leur entreprise dans un pays en croissance fragile, celui de leur capacité à s’adapter rapidement si la situation s’améliore, et surtout si elle se détériore. C’est la flexibilité. Les salariés s’inquiètent et vivent deux autres risques : celui de rester longtemps hors du marché du travail, et, s’ils sont employés, celui de ne pas progresser assez vite en compétences et responsabilités. C’est la sécurité. La flexibilité est souhaitée par le patron, la sécurité par le salarié : elles sont en partie opposées, et complémentaires. Trop de flexibilité ruine la formation et la stabilité du personnel. Trop de sécurité fige l’entreprise, augmente ses coûts, l’affaiblit. Dans les deux cas, la qualité des relations dans l’entreprise se dégrade.

Et, pendant ce temps, on entend partout : « il faut discuter plus et avancer ensemble » ! Bravo ! C’est la fameuse flexi-sécurité. Mais comment, si le débat n’est ni assez préparé, ni vraiment accepté ? Comment, si les nouvelles technologies font naître en même temps de nouvelles solutions, qui détruisent très vite les emplois anciens ? L’ubérisation, avec ses plateformes électroniques, collecte et distribue les activités (comme pour les demandes de taxis Uber). La désintermédiation dans la banque, l’assurance, la poste, le commerce… court-circuite les réseaux installés. Des millions d’emplois sont en jeu.

Revenir en arrière ? Bien sûr que non. Ou alors, freiner le mouvement par le déficit et la dette publique, par l’emploi public et associatif, par le partage et l’impôt, par la sortie de l’euro ? Belle idée, et après ?

Au fond, pourquoi ce « non,merci@MyriamElKhomi » ? Veut-on plus de croissance et d’emploi sans admettre l’importance du choc actuel, un choc qui remet en cause les contenus et conditions du travail de tous ? Ou bien veut-on repousser les réformes à faire, en affaiblissant le gouvernement à quelques mois du quinquennat qui s’achève, histoire d’hypothéquer le suivant ?

Mais alors, cette « nouvelle démocratie » est encore plus dangereuse que la « vieille politique » ! Avec sa « sélection » d’infos, pour vite additionner la peur des uns au désir des autres de conserver leurs acquis, elle empêche le consensus qui, seul, permet de changer. Dans cette révolution de l’emploi, cette « démocratie assistée par ordinateur » n’aide vraiment que si l’information devient plus transparente et laisse plus du temps au débat. Pas aux clics.