Partager les vélos en ville, ou s’amuser à les casser ?

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A Reims en novembre 2017, la société hongkongaise Gobee installe 400 vélos en free floating. C’est, dit-elle, une révolution : on prend (pour pas cher) un vélo (vert) où on veut, on va où on veut, on le laisse où on veut. Début janvier, 20 de ces vélos roulaient encore et la compagnie abandonne. Même chose à Paris, après Lille, comme en Belgique, en Espagne ou en Italie. Sachant que les « Vélib’ » JCDecaux, « fixés », ont disparu, la Ville de Paris préférant le free floating…

 Partager les vélos en ville, ou s’amuser à les casser ?

Pourtant, le site de la société Gobee annonce (encore) : « Une révolution pour vos trajets quotidiens. La meilleure façon de se déplacer rapidement et simplement en ville. En seulement deux clics, vous pouvez désormais localiser un vélo Gobee à proximité et vous rendre à la destination de votre choix, et sans contrainte. Que ce soit pour aller au café du coin, au bureau ou à la maison, vous trouverez toujours un vélo Gobee pour vous y rendre. Et ce pour seulement 0,50€ ! Gobee, la liberté en ville ! ». Mais voilà : « sur les mois de décembre et janvier, la destruction en masse de notre flotte s’est amplifiée en devenant le passe-temps d’individus, le plus souvent mineurs, encouragés par des contenus largement diffusés et partagés sur les réseaux sociaux » dit la société, sans ici évoquer d’éventuels problèmes de solidité.

Pourtant, les raisons économiques en faveur de l’économie de partage en général, plus encore celles du free floating, abondent ! L’économie du partage de vélo est d’abord une « économie du vélo », efficace, sportive, silencieuse, respectueuse de la ville et de l’environnement. L’ « économie du partage », ensuite, optimise les investissements et réduit les gâchis. Il y aura moins de trajets en automobile avec seulement son chauffeur, moins d’embouteillages ! L’ « économie du free floating », enfin, réduit les investissements pour attacher et parquer les vélos, supprime les transports par camions spécialisés entre lieux où les vélos manquent et ceux où ils sont en excès. Bref, cette combinaison des trois économies, vélo, partage et free floating, doit l’emporter sur ses inconvénients : les accidents et les emprises urbaines, sachant qu’elle est bien moins coûteuse et polluante que le « vieux » Vélib’.

Mais les comportements ne sont pas ceux qu’on attendait. Des études de 2008-2010 (sur Paris, Lyon, Barcelone et Montréal) montrent que le vélo remplace surtout le bus ou le métro, pour un trajet sur deux, la marche pour un trajet sur quatre et l’automobile… pour un sur dix ! L’inverse de l’objectif recherché !

Surtout, le pire est à venir. Alors que les théories en faveur de l’économie du partage fleurissent, les vélos se cassent. Et, là aussi, les raisons abondent. De nombreuses raisons, au début contre le Vélib’, ont été techniques. Certains ont dit que le vélo n’était pas pratique, pas très beau et trop lourd (?). La société JCDecaux a procédé à diverses améliorations en matière de solidité, de sécurité et, bien sûr, de géolocalisation.

On nous a dit ensuite que la délinquance des jeunes est « un phénomène universel, une délinquance qui dépend entre autres de la densité urbaine. Or, Paris est la ville la plus densément peuplée d’Europe. » Elle atteint en effet plus de 20 000 habitants / km² contre 5 500 à Londres ou 3 900 à Berlin. On ajoute qu’en France l’espace public est peu respecté, pas considéré comme le prolongement de la maison, comme aux Pays-Bas ou en Allemagne. Mais la crise frappe partout !

Et on ne peut éviter les explications plus sociologiques encore, liées à une réaction négative à l’innovation qu’est « ce » vélo, à son intrusion dans le paysage urbain, à son côté « bijou de Paris », à l’image « bobo » de son utilisateur, notamment dans des arrondissements moins riches ou des banlieues «difficiles » (Saint-Denis).

Par malheur, nous n’en sommes pas à « un modèle de co-création entre utilisateurs et entreprises qui permet un processus d’apprentissage social d’un côté et la création de liens sociaux puissants entre innovations et soutenabilité de l’autre », comme le propose une étude récente de l’université Tonji à Shanghai ! La France a le plus haut niveau mondial de vol et de vandalisme de tous les systèmes de partage de vélo, selon une étude du FMI.

Et si, au lieu d’investir dans ces systèmes de partage, on soutenait l’instinct de propriété de chacun pour son vélo, la ville offrant plus de possibilité pour l’attacher ? Moins d’idéologie, plus d’arcs et de piquets !