Les primaires peuvent-elles faire dérailler la croissance française ?

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Quelle étrange question ! Les primaires sont derrière nous. Les données économiques sont meilleures. Les présidentielles s’approchent. Normalement, tout devrait bien se passer. On connaît les règles de la présidentielle française : on choisit au premier tour, on élimine au second. Mais il ne s’agit pas seulement là de politique. En effet, le système français est ainsi fait que la politique s’organise pratiquement pour cinq ans à partir des présidentielles et qu’elle pilote largement les anticipations des entreprises et des ménages. S’occuper des présidentielles, c’est donc s’occuper de ce qui se passe dans la tête des consommateurs et des patrons. Mais, jamais la situation n’a été aussi contrastée entre économie et politique.

 Les primaires peuvent-elles faire dérailler la croissance française ?

L’économie française va bien mieux : le taux de chômage a baissé à 9,7% de la population active. Les effectifs salariés ont remonté en cette même fin d’année (+ 62 000). 2016 a vu la création de 191 700 emplois. Les indicateurs bancaires et financiers vont dans le même sens : le crédit repart et les taux d’intérêt sont à un niveau inouï : 1,2%. La Commission Européenne ajoute que la croissance devrait se raffermir, le chômage baisser, le déficit public passer sous 3% en 2017. Mais ne s’engage pas pour 2018 !

Les primaires de la gauche et de la droite ont tout déréglé. Autrement, comment comprendre cette montée des taux d’intérêt à 10 ans, inquiétante, sur la signature France ? Ces primaires sont un mauvais décalque du système américain : il oppose deux partis, anciens, puissants et bien financés. Leur interaction (checks and balances) fonde la stabilité politique du pays sur des décennies, garante de la stabilité des anticipations économiques, donc de la croissance et de l’emploi.

On ne peut pas appliquer à la France ces primaires, pour trois raisons. La première est que la France n’est pas un système politique à deux partis, mais à plusieurs. La deuxième est que les primaires américaines se déroulent dans le temps, par éliminations successives des candidats, jusqu’à l’émergence d’un leader par camp. La troisième raison est que cette logique séquentielle empêche, aux Etats-Unis, des comportements stratégiques, où certains candidats tenteraient d’en bloquer d’autres. Rien de tel en France. Nous avons vu s’opposer à gauche et à droite une série de projets pour lesquels pouvaient voter tous ceux qui se disaient d’accord, respectivement, avec les valeurs de droite ou de gauche. Dans le système américain votent ceux qui sont inscrits à un parti. Ouvrir les primaires hors des membres du Parti pour exposer au grand jour des divergences fragilise une famille politique et permet aussi des comportements stratégiques.

Il est ainsi de notoriété publique qu’une bonne part des électeurs voulait se débarrasser des anciens responsables (à gauche et à droite). Il est clair que nombre d’électeurs de gauche ont participé au vote des primaires de droite, poussant au départ d’Alain Juppé, gagnant prévu (?) des présidentielles, et favorisant François Fillon. 0n a vu aussi que « les deux gauches irréconciliables » n’ont pu trouver un terrain commun, conduisant au succès de la position plus à gauche de Benoît Hamon. Le système français de préparation des présidentielles a ainsi combiné des primaires « à l’américaine », alors que les deux partis n’étaient pas prêts, contre d’autres candidats issus de Congrès, par construction sans primaire ouverte, à l’extrême droite et à l’extrême gauche. Arrive Emmanuel Macron, épaulé par François Bayrou. A 60 jours des élections présidentielles, les marchés financiers explorent le risque d’une victoire de Marine Le Pen. Leur « jeu » consiste à savoir qui sera deuxième au premier tour des élections présidentielles, puisqu’on pense, en général, que le deuxième sera le premier.

Mais le pire n’est pas encore là, mais dans les législatives qui suivront. A quoi va ressembler l’Assemblée ?

Chaque candidat avance ses propositions, mais aucune de nature à régir les anticipations sur moyen terme. Le détail est partout, l’essentiel manque. Or c’est bien de cela qu’il s’agit : profitabilité des entreprises, formation et emploi, modernisation de la fonction publique, ancrage dans la zone euro, rapprochement avec l’Allemagne. Les primaires qui devaient réunir deux familles majeures du pays les ont affaiblies, un nouveau centre naît. Pour l’heure, la zone euro résiste, mais il ne faudra pas jouer trop longtemps à ce jeu-là. Notre économie n’est pas assez forte, ni notre démocratie.

 

Cher lecteur, je vous propose également de lire cette lettre ouverte aux candidats à la Présidentielle de l’Institut de l’iconomie (dont je suis membre).