Ukraine : comment faire pour que le faible ne devienne pas le fou ?

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Ukraine : comment comprendre et maîtriser le jeu qui se joue si près de nous ? Qui veut quoi entre joueurs russes d’échecs, spécialistes américains de poker, Européens économiquement forts, militairement faibles et politiquement divisés, et une Ukraine si faible qu’elle peut décider de devenir folle ?

 Ukraine : comment faire pour que le faible ne devienne pas le fou ?

1945-1970 : du fort au fort, c’est le « bon vieux temps » entre URSS et Etats-Unis. Avec « l’équilibre de la terreur », le centre du jeu (les grands pays) est sanctuarisé : c’est la guerre froide. Ceci « permet » de tenir les deux empires, avec des tensions (parfois très violentes) aux limites, le tout sans déclencher de feu militaire. C’est Cuba, c’est le Vietnam. On se bat « au travers des autres », jamais directement.

1991 : du seul fort à tous les autres, le monde devient unipolaire. Quand l’URSS éclate, il s’agit d’affaiblir autant que possible l’ancien fort et d’en récupérer les morceaux. Les Etats-Unis financent la dénucléarisation des anciennes républiques socialistes, dont l’Ukraine. L’Europe intègre vite les pays de l’Est en trois vagues (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie en 2004, Roumanie, Bulgarie et l’Estonie en 2007, Croatie en 2013). Elle « encercle » ainsi les anciens pays sous influence soviétique qui ne font pas partie de l’Union (Serbie, Kosovo, Macédoine, Albanie, Monténégro et Bosnie).

2001 : entre fort et futurs-forts, le monde se fait multipolaire. Le risque vient alors des fous. Le fort, c’est les Etats-Unis ; les futurs forts, ce sont les émergents. Les fous jouent le tout pour le tout, pour des raisons idéologiques ou religieuses. Ces Al-Qaïda de toutes sortes savent que les forts en devenir ont tout à perdre si les nouveaux équilibres ne se consolident pas. Et si ces futurs-forts se développent, leur « fonds de commerce » revendicatif s’effondre. Il leur faut donc empêcher cette évolution où le G7 cède la place au G20, un G20 où les nouveaux venus s’unissent. C’est le temps des BRICS (2009 puis 2011). Les fous deviennent de plus en plus nettement les ennemis des futurs-forts, pas seulement des anciens.

2010 : le fort… divisé c’est toujours l’Europe, avec une crise qui manque de la faire exploser. Son objectif majeur est sa consolidation, avec la zone euro au centre. Mais c’est compliqué. Une Europe divisée entre zone euro et hors zone euro sort de crise avec, dans la zone euro, des pays qui vont bien, Allemagne en tête, d’autres qui ont beaucoup souffert et voient le jour (Grèce, Espagne, Italie) et une France en retard.

2014 : entre faible et forts, comment vivre ? C’est la question des zones tampon, à installer dans le monde. L’Ukraine est le (premier) faible qui peut accentuer les tensions pour déstabiliser un jeu qu’elle voit perdant pour elle. L’annexion de la Crimée est acceptée par les puissances, avec l’idée que la Russie devait s’en tenir là. La Russie dit ne pas vouloir annexer l’Ukraine – inacceptable d’ailleurs pour la communauté internationale. Mais elle avance constamment, ville par ville, et veut, au moins, maintenir le pays en permanente fragilité. L’Union européenne ne souhaite pas l’intégrer, ni bien sûr qu’elle s’effondre. Il s’agit de l’aider à se consolider, mais sans beaucoup de moyens. Le plan d’urgence du FMI est un tout début, 3,2 milliards débloqués sur un total prévu de 17, mais un début que demande la Russie pour payer les arriérés de gaz ! Or des moyens il en faudra, si l’Europe veut créer ce statut intermédiaire pour l’Ukraine aujourd’hui, la Turquie demain. Qui après ?

Quelle tactique du côté de l’Ukraine : pousser à la crise pour se rapprocher de l’Europe et décider de passer du faible au fou ? L’Ukraine ne veut pas être un faible par destination (volonté russe) et peut ne pas aimer cette croissance modeste et stabilisante (volonté européenne). Elle peut décider de jouer le tout pour le tout en utilisant les innombrables tensions qui vont naitre avec les minorités russophones et la Russie elle-même. Ceci devrait, dans son esprit, conduire l’Europe à lui donner un statut et des aides – ce que la Russie ne peut accepter sans compensation : une constitution fédérale avec des droits particuliers aux minorités russophones ? Donc un nouvel équilibre ?

Après l’Ukraine : qui ? On ne veut pas le voir, mais notre monde multipolaire ne répartit pas les risques de friction, il les multiplie. Les marchés financiers ne voient pas non plus que l’Ukraine est le premier grand pays tampon à gérer. Avec les grandes plaques qui naissent, il faudra s’habituer à ces mouvements tectoniques – et surtout les prévoir. Gérer les déséquilibres entre grandes zones, le souci du G20, c’est en fait gérer les bordures.