Un train (de réformes) peut en gâcher un autre

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Réformer la France est obligatoire et dangereux : nous le voulons, sans le vouloir. Réformer suscite toujours une inquiétude sur la situation à venir et plus encore sur le futur, car c’est changer de situation, et surtout de trajectoire. Et comme si cela ne suffisait pas, Emmanuel Macron veut mener plusieurs réformes à la fois, pour « transformer » ! Pas un seul train, plusieurs ! Mais aucune réforme n’est isolée des autres, aucune n’est « faite », sous prétexte qu’il n’y aurait plus de remous à son sujet, pour cause d’ancienneté. Tout s’empile, donc tout peut se raviver.

 Un train (de réformes) peut en gâcher un autre

SNCF, bac, apprentissage, CSG, retenue à la source, santé… chaque réforme est aujourd’hui liée à d’autres, très différentes, un wagon après l’autre, dans un même train. Plus elles s’ajoutent, plus le train se complexifie, ralentit, se fragilise. Chaque wagon, avec les inquiétudes et les oppositions qu’il suscite, met en jeu les attaches des autres et fait tanguer le tout.

Alors, pour réformer au mieux dans un train donné, il faut éclairer le wagon qui vient pour délimiter son « terrain » ! Éclairer, c’est séparer ceux, moins nombreux, qui doivent se réformer, des autres, a priori bien plus nombreux, qui vont en profiter. C’est donc différencier ceux qui peuvent s’opposer aux réformes (à la SNCF, au hasard) des autres. Les premiers savent qu’ils protègent leur statut (le statu quo), mais aussi qu’ils ne peuvent trop le faire, sauf à paraître corporatistes, alias égoïstes. Ils essaient donc de brouiller ou d’éclairer différemment le jeu.

Or c’est facile, car toute réforme est dissymétrique ! Elle fait des perdants, qui le savent bien, et des gagnants potentiels, qui ne le savent pas bien ou n’y croient pas. Pour eux, c’est plus diffus et plus tard. Les perdants vont donc lutter contre leur isolement. Ils se chercheront des alliés chez « les autres » et les voilà devenus défenseurs de « tous les services publics », des « territoires », des pauvres, des libertés, de la démocratie, contre le capitalisme, Bruxelles, le Medef ou « la droite », habillée en Macron. Les voilà grévistes par procuration, critiques en chef et, au moins, exportateurs des doutes sur les bienfaits attendus de la réforme.

Surtout, « l’effet train » joue. Les gagnants potentiels, incertains et troublés, peuvent se dire que ces « perdants » les défendent, contre le train suivant. Avec les réformes qui s’annoncent, plus celles qui ne s’annoncent pas, plus surtout les déformations et rumeurs, ils seront peut-être les perdants du prochain train ! Sans éclairage suffisant sur les enjeux précis d’une réforme, le risque est qu’à la fin il n’y ait plus de gagnant net visible. Le train va ralentir puis s’arrêter, ses conducteurs politiques « dégager », et le suivant restera à quai !

Ces risques sont inévitables : les réformes s’ajoutent, avec leurs oppositions. Une loi votée n’est jamais socialement acceptée par tous. On découvrira que des zadistes sont encore dans les champs, à Notre Dame des Landes. Le jour où la maréchaussée délogera les derniers, ils redeviendront victimes, cherchant de l’aide, attirant médias et réseaux sociaux. Toute réforme fatigue, même bien présentée, même largement favorable à la majorité, même assez bien acceptée ! Et toutes nous renvoient à ce que nous n’avons pas fait. C’est la pile de nos travaux en retard !

Et aujourd’hui le pire est devant nous, avec le train de la retraite. C’est le plus complexe, le plus mal commencé (avec la CSG), le plus mal expliqué, et politiquement le plus dangereux. D’abord, les retraités ont plutôt voté Macron, pensant que ce jeune homme les aiderait, leur faisant en tout cas moins peur. Surtout, les retraités ne peuvent se refaire en travaillant plus, en demandant une hausse, en changeant d’employeur, voire en manifestant. Ils se savent affaiblis, mais « forts de leur bon droit » : celui d’avoir cotisé. Ce droit existe, mais il est surtout moral et politique, entrant dans la suite des générations qui font la France. Il est difficilement quantifiable, entièrement fonction de la croissance à venir. Et la réforme devient alors le bouillon de culture des fake news ! Exemple : « on » nous assure que la retraite par points, complexe et qui se mettra en place dans les trente prochaines années, va arrêter tout de suite les retraites de réversion !

Réformer, c’est expliquer wagon par wagon, pour ne pas s’arrêter. Et quand on prépare le train suivant, il faut tout revérifier, pour éviter la collision ou un « effet Montparnasse ».