Le vocabulaire économique des élections françaises (1ère partie)

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 Le vocabulaire économique des élections françaises (1ère partie)

Autant s’y préparer : notre vocabulaire économique va s’enrichir de mots dont le sens va changer, jusqu’à s’inverser. Première moisson :

  • Débloquer. Exemple : « François Hollande débloque un milliard d’euros pour la formation de 500 000 chômeurs » dit la presse, le 18 janvier 2016. Le Premier ministre fera de même, suivi d’autres Ministres pour d’autres sujets, avec des sommes heureusement inférieures.
    Cette expression, partout reprise, suscite deux réactions. La première est admirative : quelle puissance que ces hommes politiques et que cette France ! La seconde est interrogative : mais où donc ces euros étaient-ils « bloqués », dans quel barrage de montagne, dans quel coffre ? La réponse est moins glorieuse. Sachant que, quand commence l’année civile, tout l’argent attendu des impôts et des taxes a déjà été engagé, et au-delà, l’Etat ne peut rien « débloquer ». Il nous endette davantage, tout simplement.
  • Mini-cagnotte. Exemple : « le déficit du budget pourrait être inférieur (en avril 2016) de 6 milliards à celui qui était prévu ». Trois raisons à cette réévaluation : la baisse des taux d’intérêt, celle du prix du pétrole et peut-être aussi les calculs antérieurs, faits pour ménager de bonnes surprises (allez savoir !). Les politiques s’interrogent alors sur la façon de la répartir : « bas salaires » ou « investissement d’avenir » ? Tout est possible, sauf si on se dit qu’une perte plus faible que prévu n’est pas un gain. L’Etat ne peut avoir de cagnotte que s’il le prouve, en réduisant sa dette.
  • Exonérer. Exemple : « exonérer les bas salaires de charges sociales ». On comprend l’idée, généreuse, c’est à la fois plus de salaire direct pour le salarié et moins de charges pour l’entrepreneur. Gagnant-gagnant, comme on dit. L’idée est tellement géniale qu’on se demande pourquoi ne pas l’étendre. Le hic est dans le mot : exonérer, ce n’est pas enlever une charge pour la faire disparaître, mais plutôt pour la faire payer par quelqu’un d’autre. Cet autre, ce sont les autres, autrement dit les « moins bas salaires ». L’Etat ne peut pas « exonérer », mais « transporter ». Il peut même en profiter pour tester les limites d’acceptation des charges nouvelles par les autres, jusqu’à les immobiliser dans leurs projets, ou les faire partir ailleurs.
  • Racheter des licences. Exemple : « l’Etat achètera les licences des chauffeurs de taxi partant en retraite. Il crée un fonds et jure que ceci ne grèvera pas le Budget ». De fait, comme les prix des licences de taxi ont baissé, à cause d’Uber bien sûr (et d’Autolib et de Vélib ?), les chauffeurs veulent retrouver une part de leur mise. On peut les comprendre, dans cette France réparatrice. Reste à trouver l’argent. Il viendrait de licences dites « incessibles » (on verra bien plus tard) vendues par l’Etat aux nouveaux entrants et de taxes perçues sur le secteur, taxis et Uber réunis. Mais, quand même, ce rachat suppose un payeur final. Parions que ce sera nous, quand nous prendrons un taxi ou un Uber. En fait, ce fonds taxi est plutôt un test.
    On attend en effet les pharmaciens, qui vont demander une compensation pour la perte de chiffre d’affaires qui vient des génériques. Viendront les débitants de tabacs, affectés par les hausses de prix et le paquet neutre. Suivront les libraires, attaqués par Google, les agences bancaires, percutées par le crowdfunding, puis toutes les victimes de la désintermédiation en cours. L’Etat ne « rachète » pas. Il nous fait payer et essaie par là même de se racheter, au sens moral du terme.
  • Equité : c’est le mot qui va faire florès. Comme il n’est plus question de changer la Constitution et de mettre Equité en lieu et place d’Egalité dans la devise de la République, on va garder les deux. Mais pour en jouer. La liberté est « la possibilité de ». Elle trahit ses origines libérales, son côté 1789. L’équité ouvre un nouveau champ, bien plus ample, aux politiques.
    Exemple : l’équité par rapport aux soins, c’est d’abord la possibilité de tous à un meilleur accès, en fonction de l’âge et du lieu (contre les « déserts médicaux »). C’est ensuite le financement plus important par ceux qui ont plus de revenus. Si la santé n’a pas de prix, comme on dit, elle a un coût, croissant. Donc il faut payer plus pour la satisfaire. Donc il faut plus de libertés, autrement dit de réformes, pour avoir plus de croissance et financer ainsi plus d’équité. « Vaste programme », aurait dit le Général !